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Canada : légalisation ! Et maintenant ? Lecture : 5 min

HAMILTON (Ontario) – Le troisième étage d’un immeuble aux limites de la ville offre une vision de l’avenir. Au son d’une musique palpitante, des centaines de personnes découvrent des produits à base de marijuana mis en vente sur le « cannabis pop up market ». Brioches cannelle et marijuana. Barres de céréales à la marijuana et « cookies » sans gluten. Gommage pour les pieds à la marijuana, sels de bain, sticks à lèvres. Bonbons à la marijuana et des tartes aux cerises et marijuana…

Dans le brouillard de fumée exhalés par les visiteurs qui essayent « rigs » ou autres « high-tech bangs », le café Tim Hortons éphémère offre aux consommateurs une version au cannabis de la classique boisson canadienne – double double ou double crème et double sucre – infusé avec du tétrahydrocannabinol (THC), le produit actif de la marijuana.

Mercredi 17 octobre 2018, après 95 ans d’interdiction, le Canada devient le deuxième pays au monde à légaliser le cannabis, après l’Uruguay.

« C’est un jour de l’histoire du Canada dont nous allons nous souvenir et dont nous serons fiers », dit Hilary Black, l’une des principales activistes pro-cannabis au Canada, qui travaille maintenant pour Canopy Growth Corporation, la plus grande société de production de cannabis au monde.

À l’approche de la date de légalisation, l’accent a été mis sur les aspects logistiques – mise en place de lois permettant aux personnes de fumer et d’acheter du cannabis, de déterminer comment la police contrôlera le comportement des conducteurs, d’établir la réglementation sur le lieu de travail et de se lancer à l’aventure dans une industrie au potentiel de plusieurs milliards de dollars.

Mais le « cannabis pop up market » – où tout reste illégal jusqu’à l’année prochaine, lorsque la vente de produits comestibles et de produits à base de cannabis deviendra légale – suscite des questions plus vastes sur la manière dont le cannabis va changer la culture du Canada, un pays connu pour le multiculturalisme, le sirop d’érable, le hockey, et peut-être bientôt, son « bud » de haute qualité. Est-ce que cela va transformer les Canadiens polis et légèrement réservés en des gens décontractés ?

Les Canadiens fument déjà beaucoup de marijuana. Les statistiques recueillies par le bureau national du recensement révèlent que 42,5% des Canadiens ont essayé la marijuana, et environ 16% en ont consommé au cours des trois derniers mois (…).
Certaines personnes pensent que la légalisation apportera d’énormes changements, non seulement au Canada, mais aussi dans le reste du monde (…). Certains pays pourraient suivre pour des raisons économiques. Les analystes du marché prévoient que le secteur atteindra 5 Md $ US (4,35 Md €) d’ici à 2020, recréant des emplois dans des villes manufacturières en déshérence.
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Mais d’autres sont plus sceptiques. « Je ne pense pas que nous allons assister à une augmentation spectaculaire de la consommation de cannabis ; peut-être au début en raison du facteur de nouveauté », déclare Geraint Osborne, professeur de sociologie à l’Université de l’Alberta, qui étudie la consommation de cannabis depuis 13 ans.
Andrew Hathaway, professeur de sociologie à l’Université de Guelph, qui a également étudié l’utilisation du cannabis, se demande comment l’industrialisation et la réglementation affecteront la culture du cannabis typiquement libérale et anti-établissement. Il souligne que la nouvelle réglementation du gouvernement – qui codifie ce qu’une personne peut acheter, transporter et partager (30 grammes), ainsi que l’endroit et la manière dont elle peut être consommée (…) – est destiné à réfréner l’usage du cannabis, pas à l’encourager.
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Ces trois dernières années depuis l’élection du premier ministre Justin Trudeau qui avait le projet de légaliser la marijuana, la culture et l’industrie du cannabis ont audacieusement émergé de l’ombre dans de nombreuses régions du pays.

Des dispensaires vendant des extraits de marijuana d’espèces différentes (…), se sont ouverts un peu partout et les marchés éphémères, comme celui de Hamilton, se multiplient tellement que les vendeurs peuvent en faire jusqu’à cinq par semaine dans la région de Toronto.

Nombre de « cannabis lounges » ouvrent, offrant un lieu pour fumer (…), des cours sur la culture à domicile ou la fabrication de crèmes au cannabis. Les traiteurs de produits au cannabis sont devenus tellement courants que l’association nationale des entreprises de restauration, Restaurants Canada, organise un séminaire à ce sujet.

Des voyagistes spécialisés dans le cannabis ont ouvert leurs portes, de même que des « bud-and-breakfasts ». Des universités et des collèges du pays ont mis en place des cours sur le commerce du cannabis, l’investissement, la vente au détail et la culture. Des journaux ont embauché des reporters à plein temps pour traiter du cannabis, et publient des articles remplis d’annonces éditoriales de producteurs autorisés par le gouvernement, qui ventent leurs boissons, café et même jouets à mâcher au cannabis pour les chiens (…).

Mais la grande question est de savoir ce que va devenir l’énorme marché illégal, estimé à 5,3 Md $ canadiens : comme la légalisation va générer un afflux de taxes pour le gouvernement, on s’attend à ce que la police s’attaque aux zones d’ombre. (…)

« Nous n’avions jamais imaginé pouvoir fumer du cannabis dans la rue », déclare Lisa Campbell, présidente de l’Ontario Cannabis Consumer and Retail Alliance qui s’est adjoint les services d’un lobbyiste pour inciter le gouvernement a assouplir encore la réglementation. Jusque récemment, quand elle a fondé la filiale de cannabis de la société de vins et spiritueux de sa famille, Mme Campbell dirigeait le Green Market, un marché de produits de consommation au cannabis, à Toronto. « Le Green Market a organisé environ 30 événements, dit-elle, tous illégaux. « Nous pensions que c’était un rêve irréalisable que tous ces évènements éphémères que nous faisions obtiennent des licences et deviennent légitimes ». (…) Le lobbying se poursuivra jusqu’à ce que Mme Campbell appelle la légalisation maximale – dans un an, quand la gamme des produits légaux contenant de la marijuana sera élargie pour y inclure les produits comestibles, les extraits et les crèmes. (…).

Traduction d’extraits d’un article du New York Times du dimanche 14 octobre 2018.

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